Pour réadapter les dauphins détenus en captivité et pour les relâcher dans la nature, il existe des règles générales à respecter, mais il n’existe pas de manuel complet ni de recette détaillée. Il ne saurait en exister, car chaque dauphin est unique et pour chaque dauphin, il faut procéder différemment.
Les dauphins ne se comportent pas tous de la même manière lorsqu’ils sont en captivité. Certains ont subi davantage de mauvais traitements que d’autres. J’ai travaillé avec des dauphins qui, une fois relâchés dans l’océan, se rappelaient très vite qui ils étaient et comment ils vivaient avant leur capture. D’autres avaient besoin de plus d’aide et de plus de temps pour se réadapter. Aussi, le plus important dans mon travail, c’est d’avoir de la patience. Tout ce que je dois faire est de m’installer tranquillement et d’observer les dauphins en gardant les idées claires et l’esprit ouvert, pour qu’ils puissent me montrer quelle est la meilleure manière de les aider à retrouver leur identité de promeneurs sauvages et libres en quête de nourriture.
Sachant que chaque dauphin est différent des autres de mille manières, réintroduire un dauphin dans son habitat naturel relève plus de l’art que de la science.
Aperçu
Depuis vingt ans, j’ai réadapté et relâché une petite trentaine de dauphins.
Je ne dirai pas que l’on peut rendre tous les dauphins capturés à leur habitat naturel, mais il est toujours possible de réadapter un dauphin à un environnement plus naturel, une lagune par exemple. Le dauphin peut ainsi retrouver les rythmes naturels de la mer, les vagues, les courants et les poissons vivants. Tous ces facteurs jouent un rôle thérapeutique et participent à la qualité de vie du dauphin. La remise en phase du dauphin avec son environnement marin naturel est un élément essentiel du processus de réadaptation, et son relâchement devient alors possible en fonction de plusieurs facteurs :
- Sa capacité d’utiliser son sonar
- La manière dont il se montre capable d’attraper des poissons vivants
- Ses capacités de défense contre les prédateurs
Parmi les dauphins capturés dans « la nature », comme nous disons, un certain nombre peuvent y être relâchés. Pas tous, cependant. Certains sont trop imprégnés de l’influence humaine et ont oublié ou ont perdu les aptitudes nécessaires à leur survie dans ce qui fut autrefois leur habitat. C’est l’habitat qui détermine le comportement. La captivité a détruit quelque chose qui était vital pour leur existence, une chose que nous appellerions « l’esprit » s’ils étaient des humains. Pour eux, il est trop tard.
Ainsi, par exemple, il y a quelques années, j’ai eu l’occasion d’étudier à Nassau, aux Bahamas, le cas d’un dauphin qui était resté longtemps en captivité et qui était à présent devenu complètement fou. On l’appelait « Big Boy ». Il passait le plus clair de son temps à donner des coups de tête contre la porte en bois qui donnait accès à son enclos marin. D’un côté de cette porte, c’était l’endroit où il était protégé, admiré et observé avec fascination, parfois par des centaines de personnes. Là, il avait toute la nourriture qu’il voulait et il était à l’évidence le maître de son petit monde. De l’autre côté, c’était l’océan, son habitat naturel. Et un jour, en le regardant se cogner la tête contre la porte, je me suis demandé s’il serait jamais possible de le réadapter à la vie sauvage.
Qu’arriverait-il si nous le laissions tout simplement s’en aller ?
A l’époque, au Seaquarium de Miami, lorsque nous n’avions plus besoin d’un dauphin, nous le mettions dans une élingue, nous le transportions jusqu’à la côte et nous le rejetions tout simplement dans la baie de Biscaye. Dans l’industrie des delphinariums, on appelle cela le « Dump and Run ». C’est ce qui était arrivé par exemple à Pedro, un dauphin mâle corpulent qui était devenu trop difficile à maîtriser. Comment s’était-il débrouillé dans les eaux de Miami, personne ne le sait.
Mais Big Boy, lui, posait un autre problème. La captivité avait fait de lui un handicapé mental. Je me suis dit que si nous arrivions à le réadapter, alors nous serions capables de réadapter n’importe quel dauphin. Or, plus je l’observais, plus je me rendais compte que nous étions arrivés trop tard. Pour lui, la dose avait été trop forte. Je ne parle pas de mauvais traitements. Je n’ai jamais vu personne maltraiter délibérément Big Boy. En fait, ce que j’ai pu voir, c’est l’inverse : un excès d’ « amour ». Tout le monde voulait être avec lui, le toucher et lui parler, bref, tout le monde voulait « aider » ce bon vieux dauphin. Seulement, personne ne savait comment s’y prendre. Si bien que jour après jour, toujours souriant mais bouillant de colère, ce gros dauphin se cognait la tête comme pour pouvoir se libérer. C’était un dauphin si stressé, si peu coopératif, si imprévisible, si méfiant et si dangereux, un dauphin devenu si hargneux que je savais que je ne pourrais jamais rien faire avec lui.
D’où cela venait-il ? De l’intervention humaine et du stress. Dans la mort des dauphins en captivité, ces facteurs jouent toujours un rôle majeur. Le stress provient du manque d’espace, du fait qu’il y ait trop de monde et du fait que le dauphin soit obligé de faire le clown pendant trop longtemps. C’est aussi le fait que le dauphin soit obligé de vivre dans un monde artificiel, un monde sans vagues, sans les goûts ni les sons de l’océan, et sans rien de tout ce qui rend normalement la vie digne d’être vécue. Lorsque nous essayons de transformer des dauphins en animaux « de compagnie », cela ne peut jamais marcher. Sur le moment, c’est difficile de s’en rendre compte. On a l’impression que le dauphin a envie d’être domestiqué. Il a toujours le sourire – on a l’impression qu’il rit. Il nous sollicite, il veut qu’on le chouchoute, qu’on joue avec lui. Tout se passe comme avec un vrai animal de compagnie. Pourtant, ce n’est qu’une illusion. Le dauphin est un être irrémédiablement sauvage, créé pour jouer un rôle dans la nature et non pour jouer à des jeux stupides dans un petit bassin pour nous divertir.
Les dauphins nés en captivité semblent faire exception à cette règle. On ne peut pas parler de les « rendre » à leur habitat naturel : ils n’en ont pas. Quelques-uns de ces « dauphins de batterie » ont été « dressés » à se comporter comme des dauphins sauvages puis relâchés dans l’océan. Cependant, tant que cette méthode n’aura pas fait l’objet d’un suivi prolongé, il conviendra de considérer chaque cas de façon séparée.
Connaitre les dauphins et leurs mœurs naturelles
Pour pouvoir réadapter les dauphins et les relâcher dans la nature, le plus important est de savoir à quoi ressemble l’existence d’un dauphin dans son élément naturel. C’est avec cette connaissance qu’il est possible de percevoir les traits de comportement que le dauphin a acquis en captivité.
Quels peuvent être ces traits de comportement ? Observez un spectacle de dauphins pendant cinq minutes et vous aurez pratiquement tout vu. Lorsque le dresseur arrive avec un seau de poissons morts, le dauphin s’agite et se met à décrire des cercles. Il saute hors de l’eau avec énergie, puis s’étend sur le dos, patauge en rond à l’aide de sa nageoire caudale et fait des gestes d’applaudissement avec ses nageoires pectorales. Au moment où le dresseur s’accroupit pour prendre un poisson, le dauphin s’élance et réclame sa nourriture, couine et secoue la tête, sans paraître effrayé, même devant des centaines de spectateurs.
Ce comportement est entièrement appris. Un dauphin sauvage ne fait jamais rien de tout cela dans la nature, car ce serait absurde et insensé. A présent, cependant, lorsque nous tentons de réadapter un dauphin, ces comportements acquis ont une grande importance. En fait, nous devons y faire attention, car en préparant le dauphin à retrouver son état naturel, nous pouvons contrôler la disparition de ces comportements l’un après l’autre.
Faire disparaitre des comportements
Lorsque nous parlons de faire disparaître, d’ « éteindre » des comportements acquis en captivité, on a l’impression qu’il s’agit en quelque sorte d’éteindre un feu en y versant de l’eau. En réalité, il s’agit simplement de ne plus « rétribuer » le dauphin. S’il a appris à se comporter ainsi, c’est avant tout parce qu’il en recevait la contrepartie. Lorsque le dauphin accourait vers le point de distribution de la nourriture, se redressait et hochait la tête en couinant, nous récompensions tous ces gestes en lui jetant un poisson. C’est de cette manière qu’on entretient un comportement donné chez un dauphin. Par conséquent, si, à présent, nous voulons que ce comportement cesse, il faut arrêter de le « payer ». Et très vite, il cessera. Comme il n’a plus de récompense, ce comportement n’a plus lieu d’être, ni ici ni dans le monde dans lequel nous voulons qu’il vive. Là encore, c’est l’habitat qui détermine le comportement. En même temps, on incite le dauphin à adopter un comportement qui lui sera utile pour sa survie, et au bout d’un certain temps, il est prêt à regagner son habitat naturel.
Quand je constitue une équipe pour m’aider à réadapter un dauphin, j’explique à mes collaborateurs que notre tâche consiste principalement à « émanciper » le dauphin. J’explique que le dauphin, lorsqu’il a été capturé, a perdu son pouvoir. Il est devenu semblable à un prisonnier. Et à présent, il nous appartient de lui rendre ce pouvoir. J’explique aux membres de mon équipe qu’en remettant le dauphin à sa juste place, il importe de garder trois choses à l’esprit :
- Considère que tu ne sais rien*
- Reste constamment attentif
- Fie-toi à l’évidence
Ces instructions sont subtiles et très difficiles à suivre, surtout la première, et surtout pour les dresseurs de dauphins. Un dresseur, avant de pouvoir intégrer mon équipe, doit se débarrasser de ses propres attitudes conditionnées. C’est pour lui une tâche difficile, car toute son expérience des dauphins a consisté à monter un spectacle, et maintenant c’est pour lui le moment de jouer la scène de la « réadaptation ». Il veut faire partie de la distribution, et parfois on dirait même qu’il attend d’être applaudi. C’est là tout le contraire de ce que nous faisons pour préparer le dauphin à retourner vivre dans son milieu naturel. Nous ne montons pas un spectacle. Nous préparons un « non-spectacle », et moins nous en ferons, mieux cela vaudra.
Il n’est pas possible d’écourter la phase d’observation prolongée. Ce n’est pas de la recherche scientifique : c’est une technique. Il faut manger avec les dauphins, dormir avec eux, être avec eux tout le temps. Nous appelons cela le « temps des dauphins ». comment apprend-on à faire cela ? pas simplement en le lisant. Il faut le vivre.
Comme pour toute autre activité scientifique ou artistique, on ne peut acquérir le savoir-faire que de celui qui l’a déjà. On apprend alors a savoir à quel moment on est en phase avec les dauphins. On le sent. S’ils prennent cinq kilos, ou s’ils perdent cinq kilos, on le remarque. Il nous faut voir avec exactitude ce qui leur arrive, indépendamment de ce que nous pouvons dire. Pour la plupart des gens, ce n’est pas facile.
Il s’agit de quelque chose qui ne passe pas par la parole, de la même manière qu’un exercice de zen. Il faut s’oublier et ne faire plus qu’un avec le dauphin. Quand je le fais, j’habite une tente à proximité des dauphins et je peux me sentir devenir moi-même un élément du paysage, comme un des arbres, comme une feuille qui flotte sur l’eau, ou comme un héron qui arrive et qui repart tout simplement. Lorsque je ne réagis pas au comportement conditionné des dauphins, ils finissent par y renoncer. Et rien de ce que je fais ne passe par des mots. Bien sûr, je suis obligé d’écrire des rapports. Avec les quelques directives que je donne parfois, ce sont les seules exceptions. Mais le fait de vivre avec les dauphins dans le silence est ce qui donne des dauphins une perception que je crois nécessaire pour les comprendre et pour les aider à devenir ce qu’ils sont. Nous croyons les connaître déjà, parce que nous savons leurs noms par exemple, parce que nous savons d’où ils viennent, ce qu’ils mangent et quel est leur poids. Pourtant, rien de tout cela ne nous apprend ce qu’ils sont vraiment. De ce point de vue, pour les connaître, il nous faut aller au-delà de la parole. Au-delà des descriptions.
Tout cela pour mettre fin aux rumeurs et aux idées fausses à propos de ce que nous faisons. Ce n’est que lorsque nous nous débarrassons de nos habitudes de pensée, lorsque nous écartons nos théories pour les remplacer par ce que notre activité d’observation prolongée nous confirme, que nous pouvons commencer à voir les dauphins pour ce qu’ils sont réellement et à mieux évaluer leurs chances de survie une fois relâchés dans la nature.
Avant de pouvoir faire quoi que ce soit, il faut avoir mis en place l’ensemble du Système de Remise en liberté. Le Système de Remise en liberté comporte trois éléments : (1) les Bonnes Personnes, (2) le Processus de Réadaptation et de Remise en liberté et (3) le Suivi Post-Remise en liberté.
Les bonnes personnes
Le Directeur de la Réadaptation et de la Remise en liberté, autorité reconnue, connaît les dauphins aussi bien en captivité que dans leur élément naturel. Il lui faut détenir une autorité, car sa tâche consiste pour une grande part à traiter avec les autorités locales et nationales ainsi qu’avec le public, à travers les médias. Il doit aussi justifier d’une expérience pratique de l’élevage des mammifères marins, des soins, de l’alimentation et du transport des dauphins détenus en captivité.
Le Responsable de Projet gère l’équipe et les affaires quotidiennes, notamment l’archivage et la documentation du projet ainsi que les procédures d’obtention des autorisations nécessaires. Il est aussi chargé de trouver le site approprié à la remise en liberté des dauphins et d’organiser l’étude des populations de dauphins environnantes.
Les Assistants et les Volontaires participent concrètement aux études de population et au suivi des dauphins relâchés. Ils sont responsables de l’approvisionnement adéquat des dauphins en poissons vivants.
Le Vétérinaire du Suivi, un spécialiste qualifié des mammifères marins, doit évaluer l’état de santé et la forme des dauphins, assister au transport et rester disponible en cas d’urgence.
La réadaptation et la remise en liberté
Est-il indispensable de relâcher les dauphins à l’endroit même où ils avaient été capturés ? C’est souvent souhaitable, mais ce n’est pas toujours nécessaire. Un exemple : si un dauphin mâle a été capturé alors qu’il était très jeune et arraché à son groupe familial, on ne peut pas s’attendre à ce qu’il réintègre ce groupe plusieurs années plus tard. Même s’il n’avait pas été capturé, il ne serait probablement pas resté au sein de son groupe d’origine, parce que les dauphins mâles, arrivés à maturité, rejoignent normalement un nouveau groupe ou forment leur propre groupe, qui peut être un groupe de célibataires, avec des femelles et leur progéniture, ou un groupe de mâles et de femelles qui voyagent ensemble. Parfois, ont rencontre aussi des dauphins solitaires, qui ont choisi d’être seuls ou qui ont été rejetés par leur groupe.
Par conséquent, c’est une erreur de croire que les dauphins doivent être relâchés à l’endroit même où ils ont été capturés. D’ailleurs, si l’eau est devenue polluée ou empoisonnée en leur absence, ou si les poissons dont ils avaient l’habitude de se nourrir n’y sont plus abondants, il n’est pas souhaitable de les y remettre. Dans les études existantes, on ne trouve aucune indication scientifique et empirique corroborant l’idée qu’il faille relâcher les dauphins sur le lieu précis de leur capture.
Les dauphins peuvent parfaitement s’adapter à un nouvel habitat s’il est similaire au site de leur capture en termes de marées, de courants, de températures extrêmes de l’eau, de disponibilités en nourriture et de prédateurs éventuels.
Notre équipe fait en sorte de prélever sur place suffisamment de poissons vivants pour que les dauphins puissent se remettre à en attraper et à les manger. Des tests de qualité de l’eau, dans la région, ont aussi été pratiqués, dont les résultats sont à portée de main.
La nourriture
Dans le processus de réadaptation des dauphins, une des tâches les plus importantes consiste à maintenir un régime alimentaire adéquat. L’objectif principal est qu’en fourrageant et en ne se nourrissant que de poissons vivants, les dauphins puissent garder un poids corporel acceptable. Il s’agit d’un processus graduel qui peut être décomposé en quatre phases :
- Inciter les dauphins à manger en ayant la tête sous l’eau.
- Eliminer toute interaction avec celui qui les nourrit, en variant l’heure et le lieu du repas.
- Faire en sorte que les dauphins ne mangent que des poissons vivants.
- Faire, là encore, qu’ils redeviennent des promeneurs sauvages en quête de nourriture.
Au cours de la phase 1, tout se passe autour d’une station de distribution de nourriture, où des poissons vivants et morts sont donnés aux dauphins mais uniquement lorsqu’ils ont la tête sous l’eau. Nous continuons à les nourrir de poissons morts, mais nous y ajoutons des poissons vivants pour qu’ils s’y habituent : nous les lançons de façon aléatoire sur de petites distances, et nous augmentons progressivement la distance tout en dissuadant les dauphins de se nourrir en gardant la tête hors de l’eau.
Au cours de la phase 2, nous sevrons progressivement les dauphins de leur régime alimentaire habituel, en leur lançant des poissons aussi bien vivants que morts depuis différents endroits et à des moments différents. A cette étape, nous opérons cachés, pour que les dauphins ne nous voient pas. Nous ne voulons pas qu’ils établissent un lien entre la nourriture et ceux qui les nourrissent.
Nous lançons toujours les poissons vivants vers le centre de l’enclos, pour que les dauphins aient davantage de chances de les attraper avant qu’ils ne s’échappent en franchissant la clôture.
Il est parfois nécessaire, au début, de plonger les poissons dans de l’eau glacée pour qu’ils deviennent moins rapides et que les dauphins aient plus de chance de les attraper.
Le nourrissage devient ensuite plus aléatoire, plus irrégulier. Nous lançons des poissons morts et des poissons vivants depuis un poste caché, à n’importe quelle heure y compris tôt le matin et après la tombée de la nuit. Dans l’eau, nous avons un hydrophone, qui nous permet de suivre l’utilisation du sonar par les dauphins pour trouver les poissons, surtout les poissons vivants. Nous pouvons comparer les enregistrements audio des prises confirmées pendant la journée avec ceux des prises nocturnes.
Nous augmentons le nombre de séances de distribution de nourriture, en diminuant la quantité de poisson. Des distributions courtes et rapides, depuis des endroits changeants et à des heures quelconques, dissuadent les dauphins de se mettre en quête de la personne qui distribue la nourriture.
Au cours de la phase 3 (distribution de poissons vivants uniquement), nous devons tout d’abord nous assurer de pouvoir distribuer aux dauphins assez de poissons vivants. Il nous faut une source fiable de poissons des espèces que l’on trouve là où les dauphins seront relâchés. Nous en analysons la valeur nutritionnelle, et nous calculons les quantités nécessaires au régime alimentaire complet des dauphins, en tenant compte de l’énergie dépensée à poursuivre les poissons vivants.
Tout en continuant à nourrir les dauphins à des moments variés et à partir de points de distribution changeants, nous augmentons maintenant la proportion de poissons vivants. Une fois que les dauphins mangent principalement des poissons vivants, nous les réunissons en groupes de 10 ou de 15 individus et créons ainsi une « école » du poisson, pour rendre la situation des dauphins plus proche de leur état naturel et pour les obliger à choisir la proie qu’ils vont pourchasser.
Enfin, au cours de la phase 4, nous éliminons l’élément humain du processus de nourrissage et nous incitons les dauphins à fourrager d’eux-mêmes. Nous introduisons à tout moment des poissons vivants dans l’enclos marin, nous tenons un registre des taux de consommation des dauphins, et enfin, dans leur menu, nous remplaçons les poissons morts par des poissons vivants des environs, des espèces comme le mulet. Une fois que les dauphins sont prêts à s’aventurer hors de l’enclos, ils le font bien comprendre à ceux qui savent déchiffrer le langage de leur corps.
Le suivi après la remise en liberté
Au cours du processus de réadaptation, les dauphins ont été marqués à froid pour faciliter leur identification visuelle. Les dispositifs de suivi par radio se sont révélés gênants, et favorisant une contamination future. Quant aux dispositifs de télémesure, ils ne se sont pas révélés fiables dans le passé.
Quand on remet un dauphin en liberté, on veut que tout soit le plus naturel possible. Tout au long du processus, nous mettons en place une équipe de suivi, constituée d’individus qui vivent de la mer : des pêcheurs et des marins. Nous avons avec eux des entretiens individuels. Nous les informons de ce que nous faisons à chaque étape, surtout en ce qui concerne le marquage à froid de l’aileron dorsal. Ces pêcheurs et ces marins ne font pas partie du monde des delphinariums, mais du monde de la mer. Quand nous expliquons aux pêcheurs ce qui se passe, ils se joignent à nous. Ce n’est pas comme s’ils se joignaient à une cause. Ils sont déjà de la partie. Les dauphins qu’ils voient tous les jours, ils les connaissent comme ils connaissent leurs propres enfants. Par la suite, lorsque nous avons finalement relâché le dauphin, s’ils le voient nager, ils nous en tiennent informés. Nous notons l’événement, nous notons le nom de la personne qui a vu le dauphin, où et quand, dans quelle direction il allait, avec combien de compagnons et lesquels. Nous nous intéressons plus particulièrement à tout comportement inhabituel.
Si, par exemple, le dauphin réclame de la nourriture, ce n’est pas la preuve d’un échec. Cela signifie qu’il nous faut tenir les gens éloignés. Le moment où le dauphin est relâché est particulièrement crucial. C’est une période d’adaptation qui commence. Le dauphin peut même manquer un repas. Jusqu’alors, nous l’avons nourri de façon régulière, autant qu’il le voulait. Il est gras et plein de tonus. Maintenant, il faut qu’il se nourrisse lui-même. C’est cela, sa principale adaptation. Nous devons alors nous écarter de sa route et laisser les choses se faire.
Toute l’importance du processus de réadaptation et de remise en liberté est là. D’abord, nous suivons ses déplacements de façon quotidienne. Il y a parfois même plusieurs rapports par jour. Nous reportons les informations sur un graphique. Sur ce graphique, il est ici tel jour, là le lendemain. Des tendances se dessinent. C’est le signe que le dauphin a commencé à mener sa propre existence. Au bout d’un moment – si nous le laissons seul – il prendra possession d’un nouveau territoire, il aura retrouvé son élément naturel.
* Considère que tu ne sais rien, cela signifie simplement qu’il ne faut pas supposer qu’il est possible ou impossible de réussir à rendre le dauphin à son environnement naturel. En d’autres termes, il faut garder l’esprit ouvert.
Richard O’Barry, spécialiste des mammifères marins, One Voice